mercredi 13 février 2008

Interprétation, œuvre ouverte : Nicolas Michelin

« En musique il arrive souvent qu’une note soit liée avec elle-même (...) à partir de la contrainte de jouer cette même note liée, il est possible malgré tout d’exprimer des valeurs très différentes, et de suggérer par l’émotion beaucoup plus que ce qui est écrit. Cette faculté tient à peu de chose : l’intensité du souffle, la tension des lèvres, le vécu de l’instant ; d’aucun diront la musicalité de l’interprète plus ou moins talentueux. Mais elle est surtout rendue possible par l’écriture de Schubert, qui compose ce passage de telle manière que le musicien est pour ainsi dire obligé de s’impliquer à partir de ce qui lui est donné à interpréter. S’il ne s’implique pas suffisamment et s’en tient à jouer juste les trois notes écrites tout le passage devient insignifiant. Ce qui est intéressant dans cet exemple, c’est le contraste entre les contraintes de simplicité de l’écriture musicale et les possibilités malgré tout offertes à l’interprète. A une écriture minimum correspond une interprétation maximum.
En architecture le fameux «less is more» n'exprime pas cette idée, car le parallèle avec la musique ajoute la notion d’interprétation, c’est-à-dire d’appropriation de l’oeuvre pour exprimer des instants ou des espaces musicaux non explicités dans l’écriture. La force de cette notion tient à l’obligation de dire plus, tout en respectant les règles de ce qui est écrit. L’appropriation d’un espace architectural pourrait se comparer à l’interprétation d’une oeuvre, avec,toutefois, des notions de temporalité très différentes.Un espace architectural, écrit de façon très minimum, comme une succession de notes liées, et placé dans un environnement extérieur-intérieur jouant le rôle des autres partitions musicales, pourrait ainsi évoluer comme l’exemple musical précédent. L'espace peut être interprété ou habité de manière inspirée et prendre soudainement sens au-delà de ce qui était donné à voir au premier abord. Il faut pour cela qu’il soit bien écrit et que, comme dans la composition de Schubert, les possibilités d’interprétation soient ouvertes pour que l’usager se sente directement concerné et soit incité à intervenir librement. »

texte provenant de http://www.anma.fr/4-6-interpretation.pdf

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